La « nature » des statues-vases en terre cuite en forme de femme stéatopyge provenant de la province de Gilan (Iran du Nord-Ouest) et datées entre 1200 et 600 avant J.-C. n’est pas formellement établie : idole, ex-voto, Terre-Mère… Néanmoins, leur filiation est indéniable avec des terres cuites anthropomorphes dont l’apparition coïncide avec l’arrivée en Iran de populations indo-européennes et de leur panthéon au milieu du deuxième millénaire avant J.-C.
***
Ce type de terre cuite apparaît à la période dite de l’Âge du fer (vers 1200-600 avant J.-C.) dans les provinces de Gilan et Māzandarān (régions très montagneuses de l’Elbourz), au nord-ouest de l’Iran. Le début de l’Âge du fer dans la partie occidentale de l’Iran est traditionnellement associé à l’apparition d’un nouveau type de céramique (grise ou rouge polie) ainsi que de cimetières en dehors des zones d’habitat (marquant une rupture dans les pratiques funéraires puisque les morts étaient enterrés sous les maisons aux périodes précédentes). Ces changements s’expliquent par l’arrivée (via le littoral de la Caspienne) et leur migration depuis le nord-est de tribus nomades d’Indo-Européens (de langue iranienne) porteuses de cette culture matérielle.
/image%2F1463533%2F20250609%2Fob_5e5a24_p1060172.jpg)
Statuette-vase en forme d’idole stéatopyge
Provenance : Kaluraz ou Amlash, Iran du Nord
Âge du fer, 900 à 701 avant J.-C.
Terre cuite
Techniques : modelé, rapporté, incisé, lustré (?)
Dimensions : 46,5 cm (hauteur), 15,7 cm (largeur), 13 cm (profondeur)
Louvain-la-Neuve, Musée L, n° inv. AC 57
Legs Charles Delsemme, 1990
L’accentuation des hanches, des cuisses et du cou ainsi que la position des mains (placées l’une au-dessus de l’autre sous la poitrine menue figurée par des pastilles) sont les principales caractéristiques de cette statue en forme de femme. Le visage (circulaire) stylisé s’orne d’un nez (triangulaire) proéminent. La bouche n’est pas représentée. Les yeux sont composés de cercles concentriques incisés entourant un point et les oreilles décollées sont perforées. Sans doute ces trous étaient-ils destinés à accueillir des boucles (en métal ?) aujourd’hui perdues. Ce qui apparaît a priori comme un couvre-chef est peut-être – ainsi que le suggèrent les incisions en zigzag – une coiffure étagée qui retombe dans le dos sous forme de natte. Les jambes qui s’affinent quelque peu vers le bas sont dépourvues de pieds. Les bras sont arrondis et chacun des poignets est orné d’un bracelet. La statue est creuse, le col s’ouvrant au sommet. Il n’y a pas de bec verseur. Des analyses de datation par thermoluminescence ont été réalisées en 1988. Il s'agit des seules analyses effectuées.
Sa provenance est incertaine : Kaluraz ou Amlash dans le nord-ouest de l’Iran, juste au sud de la Caspienne. Le site de Kaluraz a été fouillé dans la seconde moitié des années 1960 par Ali Hakemi (Musée Iran Bastan, Téhéran) et consiste en groupes de tombes. Quant au site d’Amlash, il a fourni du matériel de sépultures en abondance provenant malheureusement de fouilles (clandestines) dont le contexte est perdu.
/image%2F1463533%2F20250609%2Fob_8b958c_p1140880.jpg)
Statue-récipient anthropomorphe
Site de Kaluraz, Iran du Nord
Âge du fer II ou III, entre le 9e et le 7e siècle avant J.-C.
Terre cuite lustrée
Dimension : 46 cm (hauteur)
Paris, musée du Louvre, n° inv. AO 32565
Don de la Société des Amis du Louvre et de Melle Jacqueline Blottin, 2012
Bien que de facture plus modeste, la statue du Musée L présente de nombreuses similitudes avec la statue-récipient anthropomorphe de Kaluraz (AO 32565) conservée au Musée du Louvre – à ceci près que celle-ci présente des incisions circulaires sur les épaules, le nombril et les cuisses (peinture corporelle ? tatouages ?). La nature exacte de la statue du Louvre n’est pas établie mais on lui prête un rôle de protection. Elle appartient à un type de représentations connu à une dizaine d’exemplaires.
La statue du Musée L est désignée comme une idole, ce qui induit qu’elle est censée représenter une divinité et avoir fait l’objet d’un culte. Le problème est qu’elle ne possède aucun attribut (animal, végétal ou symbole) qui permette de l’identifier comme telle. A-t-elle tout de même fait l’objet d’un culte ? La présence (potentielle) d’or – matériau de parures et d’objets sacrés – pourrait aller dans ce sens[1]. On sait qu’elle portait initialement des boucles d’oreille, mais celles-ci étant perdues, on ignore dans quel matériau elles étaient faites. Et il en est de même pour le spécimen du Musée du Louvre doté à l’origine de colliers et de boucles d’oreille. Rien n’indique donc formellement que ces statues recevaient un culte. Alors, plutôt que des statues de culte, faut-il y voir des statues votives (représentant un dédicant à défaut d’une divinité), placées originellement dans un sanctuaire et emportées dans la tombe ? Le problème est qu’elles ne semblent pas avoir d’équivalent masculin. Du reste, ni temples, ni sanctuaires n’ont été mis au jour jusqu’ici. Quoi qu’il en soit, leur filiation est évidente avec les statues/statuettes en terre cuite ou en métal[2] découvertes dans la nécropole de Marlik (proche de celles de Kaluraz et d’Amlash) au début des années 1960 par l’archéologue iranien Ezat Negahban et datées vers 1200-1000 avant J.-C. Et elles ne sont pas non plus sans évoquer les statuettes en terre cuite de Turang Tepe (Golestan) figurant des hommes et des femmes nus datées du 15e siècle avant J.-C. [et, dans une moindre mesure, celles très schématiques provenant de sites voisins tels que Shah Tepe ou Gohar Tepe (Golestan) et Tepe Hisssar (Semnan)] dans le nord-est de l’Iran, non loin de la Caspienne.
Puisque ce ne sont ni des idoles, ni des exvotos stricto sensu, et bien que le terme Terre-Mère ait déjà été avancé pour les désigner, l’« identité » des statues en forme de femme provenant des sites de Kaluraz et d’Amlash semble se dérober. Mais le fait qu’elles soient représentées nues et qu’elles soient stéatopyges suggère quand même une piste, d’autant qu’elles ont été retrouvées en contexte funéraire : celle d’une promesse de renaissance, d’une vie après la mort. En effet, elles symbolisent la fécondité. Ainsi, elles auraient été déposées (offrande funéraire ?) dans les tombes comme une image de fertilité renouvelée (de salvation ?). Un autre indice intéressant réside dans le fait que tant l’exemplaire du Musée du Louvre que celui du Musée L sont des vases à libation. En effet, la libation consiste en l’offrande d’un liquide à une divinité. Or, ces nouveaux venus indo-européens sont aussi arrivés en Iran avec leur panthéon qui inclut notamment le créateur de l’univers (Ahura Mazda) dont la manifestation est le feu et les puissances naturelles telles que le soleil (Mithra), la lune (Mah), le ciel, l’eau et la terre (Ardvi Sura Anahita). Cette dernière « est la déesse de toutes les eaux à la surface de la terre et la source de l’océan cosmique. Elle conduit un char que tirent quatre chevaux : vent, pluie, nuage et neige fondue. On voit en elle la source de vie… ».[3] « En raison de son lien avec la vie, les guerriers la prient dans les batailles pour qu’elle leur accorde de survivre et de remporter la victoire ».[4] Ardvi Sura Anahita a donc un statut élevé. L’Aban Yasht lui est consacré. Il y est question d’offrandes de sacrifices et de libations. Dans l’Avesta, elle est vénérée tant par les héros que par leurs adversaires qui la prient et lui offrent des sacrifices. Cette divinité féminine, sorte de Terre-Mère garante de la fertilité/de la régénérescence (à l’instar de Déméter/Cérès ou Kubaba/Cybèle), reçoit donc un culte auquel pourraient être associées les statues-vases en forme de femme stéatopyge qui symbolisent la fécondité.
[1] A l’instar de la déesse-mère en argent d’Alacahöyük (deuxième moitié du 3e millénaire avant J.-C., Musée des Civilisations anatoliennes, Ankara) dont les seins et les chaussures sont recouverts d’or ou de la déesse-mère en argent d’Hasanoglan (fin du 3e millénaire avant J.-C., Musée des Civilisations anatoliennes, Ankara) portant des bretelles croisées en or et dont le visage est recouvert d’une feuille d’or.
[2] A épingler : Statuette de femme en bronze (21 cm, 1035 g) conservée au Musée National, Téhéran, inv. 25070. L’accent est mis sur les hanches, les cuisses et le cou. Elle a les jambes courtes par rapport au buste et les bras sont placés horizontalement devant la poitrine. La tête est petite et coiffée d’une sorte de cône. En forme d’anse, les oreilles sont percées de deux trous.
Vase anthropomorphe en argent représentant un personnage féminin au cou épais, aux hanches larges, aux jambes à peine esquissées, aux bras repliés sur la poitrine (soutenant les seins), portant une boucle d’oreille en or ainsi qu’une torsade de cheveux autour de la tête et dont le corps est couvert de lignes ondulées simulant peut-être la pluie.
[3] Vesta Sarkhosh Curtis, Persian Myths, British Museum Publications Ltd, 1993. Octobre 1994, Editions du Seuil, pour la traduction française, p. 21-22
[4] Vesta Sarkhosh Curtis, Persian Myths, op. cit.