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L'art de très près

L'art de très près

Chefs-d'oeuvre sous la loupe


A Naples sur les traces du Caravage

Publié par Patricia Schepers sur 9 Novembre 2016, 15:43pm

Rome, 1606 : un duel se termine par mort d’homme. Michelangelo Merisi dit le Caravage vient de tuer Ranuccio Tomassoni, un fils de famille. Traqué, il trouve refuge au palais Colonna auprès de ses protecteurs Costanza et Fabrizio II (fille et fils de Marcantonio II Colonna – l’amiral qui commandait la flotte papale à Lépante en 1571 contre les Ottomans – et de Felice Orsini) qui organisent son évasion à Naples. Jusqu’à l’été 1607, il s’y « terre », sans doute non loin du palazzo Colonna du XIVe siècle situé dans le quartier portuaire (aujourd’hui via Mezzocannone). Même recherché pour meurtre, il n’y manque pas de commanditaires et non des moindres qui se disputent son talent. En témoigne, l’abondance de sa production en seulement quelques mois.

Pio Monte de la Misericordia

Via dei Tribunali 253, 80139 Napoli [Ouvert de 09:00 à 18:00, dimanche de 09:00 à 14:30] [Accès : au départ de la piazza Garibaldi, prendre la via Alessandro Poerio, contourner le Castel Capuano (piazza Enrico de Nicola) et remonter la Via dei Tribunali]

Les Sept Œuvres de Miséricorde [1607, huile sur toile, 390x260]

Commanditée pour l’abside de leur église par l’institution du Mont-de-Piété qui se consacre à l’assistance aux plus démunis, l’œuvre réunit dans une scène de rue (tel un instantané, pris sur le vif) des références aux sept œuvres de miséricorde, inspirées de la Bible, de la vie des saints et de l’histoire romaine, mais transposées dans les bas-fonds de Naples à l’époque du Caravage.

Donner à boire à ceux qui ont soif – illustré par Samson qui boit dans une mâchoire d’âne [Juges 15 : 14-17].

Héberger les pèlerins – figuré par l’aubergiste qui invite à entrer le voyageur qui se rend à Saint-Jacques-de-Compostelle.

Rendre visite aux infirmes et donner des vêtements à ceux qui n’en ont pas – mis en scène par saint Martin de Tours [dont la vie légendaire est connue par le récit hagiographique écrit par son disciple Sulpice-Sévère v. 395] qui partage son manteau avec un homme nu assis par terre et, en même temps, fait mouvement vers un autre homme (infirme ?) gisant dans l’obscurité.

Enterrer les morts – représenté par le croque-mort qui transporte un cadavre dont on ne voit que les pieds. Donner à manger à ceux qui ont faim et rendre visite aux prisonniers – symbolisés par l’épisode de la dite Charité Romaine [légende antique rapportée par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, Livre VII, 36 et d’autres auteurs latins tels que Solin, Festus et Hygin] où le vieux Cimon, condamné à mourir de faim en prison, est nourri au sein à travers les barreaux par sa fille Péra.

Coiffant cette scène unique, une madone serrant son enfant contre son sein et des anges n’en finissent pas de chuter.

A noter : la complexité – la conception du programme iconographique a sans doute nécessité de faire appel à un conseiller théologique mais le peintre fait ici la démonstration de sa capacité de synthèse; la palette restreinte (dans les bruns) ; les contrastes d’éclairage, certains détails étant laissés volontairement dans l’ombre ; le réalisme voire la rusticité des personnages, les modèles étant des gens ordinaires choisis dans la rue.

Museo Nazionale di Capodimonte

Via Miano 2, 80137 Napoli [Ouvert de 08:30 à 19:30, fermé le mercredi]

[Accès : métro (Linea 1 ou 2, arrêt Cavour) – bus 168 ou 178 au départ de la Piazza Cavour (arrêt situé devant le Museo Archeologico Nazionale) – Entrée au musée de Capodimonte par la Porta Piccola]

La Flagellation du Christ [1607-1610, huile sur toile, 286x213]

Commissionnée en 1607 par les de Franco ou de Franchis (famille noble napolitaine originaire de Capoue) pour l’église San Domenico Maggiore, l’œuvre est déplacée en 1652 dans la Capella della Flagellazione del Signore, leur nouvelle chapelle de famille, où elle reste exposée jusqu’en 1972. Après trois tentatives de vol, elle est finalement transférée au Museo Nazionale di Capodimonte.

Le Caravage se focalise sur le Christ et ses bourreaux. Contrairement à la tradition chrétienne [d’après l’Evangile selon saint Jean (19, 1), l’Evangile selon saint Marc (14, 65), l’Evangile selon saint Luc (22, 63-65), et l’Evangile selon saint Mathieu (27, 26], la scène n’a pas de témoins. La composition est très proche d’œuvres du même thème qu’il a pu voir à Rome et dont il a pu s’inspirer. [A noter qu’il a pu également voir à l’église Sainte-Praxède (Santa Prassede) une des nombreuses reliques de la Colonne de la Flagellation, à savoir le fragment de colonne en marbre noir veiné de blanc (hauteur : 70 cm – base : 45 cm de diamètre) rapporté à Rome en 1223 par le cardinal Giovanni Colonna.] Il s’agit, en particulier, de la fresque de San Pietro in Montorio peinte en 1516 par Sebastiano del Piombo et, dans une moindre mesure, de celle du maniériste Federico Zuccari pour l’Oratorio del Gonfalone datée de 1573. Elle a un précédent chez le Caravage : le Christ à la colonne  [1606-1607, huile sur toile, 134,5x175,5], réalisé à la fin de son séjour à Rome ou au début de sa fuite en Campanie et conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen.

A noter : la carnation claire du Christ, qui apparaît particulièrement vulnérable aux mains de ses tortionnaires à la peau sombre ; la récurrence des visages chez le Caravage : le faciès volontairement bestial du bourreau de gauche rappelle celui de l’exécuteur qui tient la tête coupée du Baptiste dans la version de Salomé [1606-1607, huile sur toile, 90,5x167] de la National Gallery (Londres) ; les repentirs : la figure du commanditaire initialement esquissée en bas à gauche, a disparu de la version définitive. Les repentirs plaident en faveur d’un original. En revanche, on peut se poser la question de savoir pourquoi le Caravage renonce à mettre en scène son commanditaire, ce qui se fait couramment à l’époque. Celui-ci est-il décédé entre la commande en 1607 et la livraison en 1610 ?

L’église San Domenico Maggiore a abrité (au moins entre 1620 et 1781) un autre tableau du Caravage : la Madone au Rosaire [1607, huile sur toile, 364,5x249,5], sans doute peinte à Naples avant son départ pour Malte à l’été 1607 et visible aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne.

A noter : la composition pyramidale et la hiérarchisation des personnages – au sommet : la Vierge (en majesté) et l’Enfant,  flanquant le trône : les saints, au pied du trône : le donateur (un notable) et le « petit peuple » ; la théâtralisation accentuée par la tenture rouge, à l’instar de la Mort de la Vierge [1605-1606, huile sur toile, 369x245] du Musée du Louvre ; les petits détails sordides tels que les pieds sales et les crânes chenus.

 

Palazzo Zevallos

Via Toledo 185, 80132 Napoli [Ouvert de 10:00 à 18:00 (de 10:00 à 20:00 le week-end), fermé le lundi]

[Accès : métro (Linea 1, arrêt Toledo) – descendre la Via Toledo]

Le martyre de sainte Ursule [1610, huile sur toile, 140x170]

Commanditée par le prince Marcantonio Doria (fils du doge de Gênes) mais appartenant aujourd’hui à une collection privée, l’œuvre est tirée de la Légende dorée de Jacques de Voragine. Ursule est la fille d’un seigneur chrétien de Bretagne (aujourd’hui Pays de Galles). Elle a une réputation de beauté, de sagesse et de vertu. Le roi d’Angleterre (suzerain du seigneur et païen) souhaite qu’elle épouse son fils Erée. Il s’ensuit trois épisodes :

1° L’ambassade. Ursule accepte la demande en mariage sous condition: un moratoire de 3 ans, un pèlerinage à Rome et la conversion et le baptême du prince héritier.

2° Le pèlerinage à Rome d’Ursule accompagnée de 10 jeunes vierges (incluant la traversée de la Manche, le voyage terrestre vers Cologne, le rêve éveillé d’Ursule où l’ange lui annonce son martyre, le voyage sur le Rhin jusqu’à Bâle, le trajet à pied par les Alpes jusqu’à Rome, l’arrivée à Rome et l’accueil par le pape Cyriaque – le fiancé qui les a rejointes en cours de route y reçoit le baptême par immersion – et enfin le retour par le même itinéraire).

3° Le martyre. Cologne est assiégée par les Huns et tout le monde est massacré, à l’exception d’Ursule. Le chef des Huns (Attila ?) manifeste sa volonté de la faire sienne mais Ursule refuse de se soumettre et est tuée d’une flèche. C’est le moment précis où Ursule reçoit la flèche que le Caravage a choisi d’illustrer. Le sang gicle de manière rectiligne.

A noter : la restitution de l’événement dans son immédiateté ; le sens du clair-obscur : Ursule, tache claire drapée de pourpre, apparaît (à l’avant-plan) dans un éclairage factice ; de son bourreau (au plan médian) on ne distingue dans la pénombre que le faciès et la manche rouge dépassant sous la cuirasse ; des deux témoins (à l’arrière-plan) on n’entrevoit qu’une partie des visages ainsi que le casque et les plaques métalliques de l’armure du soldat (témoin ou protagoniste ?) qui se penche pour maintenir Ursule… ou pour la défendre. Le fond est sombre mais jamais totalement neutre chez le Caravage.

Redécouverte dans les années 1950, l’œuvre est d’abord attribuée à Bartolomeo Manfredi, un suiveur du Caravage. L’attribution au Caravage en 1980 est solidement étayée. Il s’agit de la dernière œuvre connue du grand maître lombard, livrée un mois seulement avant sa mort à Porto Ercole en Toscane alors qu’il tente de rejoindre à pied les états pontificaux pour obtenir la grâce de Paul V Borghèse.

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D
Merci Bcp ces indications détaillées, Nous irons cette semaine !
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