La religion des Anciens Egyptiens ne s’appuie ni sur une révélation divine, ni sur des prophéties mais tente vaille que vaille d’expliquer le fonctionnement de l’univers par des mythes et des métaphores. Un phénomène naturel, tel que la course du soleil dans le ciel et le fait qu’il disparaisse tous les soirs et réapparaisse tous les matins, est assez intrigant en soi. Mais l’idée qu’il puisse ne pas réapparaître est véritablement angoissante.
Les dieux égyptiens sont les puissances animatrices de la nature. Une des créations du monde relate comment quatre couples (Nounet/Noun, Amonet/Amon, Hehet/Heh, Kekout/Kekou.) qui prennent vie dans le Noun (l’océan primordial, inerte à l’origine) vont donner naissance à un gigantesque lotus dont sort un enfant (reconnaissable à la tresse de l’enfance et au doigt dans la bouche) portant le soleil sur la tête ; c’est l’enfant Rê. Pourquoi un lotus ? Parce que les Anciens Egyptiens ont observé que le lotus bleu a un cœur jaune (assimilé au soleil) et qu’il s’ouvre quand le soleil se lève (à l’est) et se referme quand il se couche (à l’ouest). Et c’est précisément cet axe est/ouest correspondant à la course du soleil qui va être prépondérant puisqu’il détermine l’espace dévolu aux vivants et aux morts dans l’Egypte ancienne. Ainsi les temples sont bâtis sur la rive orientale du Nil tandis que les nécropoles sont aménagées sur la rive occidentale. Le lotus est aussi associé aux Quatre Enfants d’Horus (les organes internes) : Imset (le foie), à tête humaine, est associé au ka (le double/l’énergie vitale d’un individu) ; Hâpy (les poumons), à tête de singe, apporte le cœur ; Qebehsenouf (les intestins), à tête de faucon, apporte la momie ; Douamoutef (l’estomac), à tête de canidé, apporte le ba (représenté sous la forme d’un oiseau à tête humaine car il doit pouvoir sortir au soleil mais aussi revenir dans son habitacle qui est l’enveloppe charnelle du défunt). La fonction des Quatre Enfants d’Horus est de ranimer les organes internes et ainsi de contribuer à faire revivre le défunt dans l’au-delà.
Partant du principe que les mondes visible et invisible sont interpénétrés/connectés, les mythes ont aussi pour objectif d’expliquer ce qui se passe dans le monde invisible. Selon la cosmogonie d’Héliopolis, Atoum (le créateur/le démiurge), à qui on prête l’aspect d’une anguille ou d’un cobra pour se mouvoir dans le liquide (le Noun), engendre le premier couple, Chou (l’air lumineux) et Tefnout (la chaleur). Celui-ci donne naissance à Geb (la terre, représentée sous la forme d’un homme couché) et Nout (le ciel et la nuit, figurée parfois comme une vache, mais le plus souvent comme une femme nue touchant le sol de ses pieds et de ses mains). La troisième génération est constituée d’Isis, Osiris, Nephtys, Seth et Haroëris (Horus l’Ancien). À la fin du monde, Atoum aura détruit tout ce qu’il a créé (retour à l’état du Noun), d’où les rites destinés à retarder cette échéance. Atoum, c’est aussi le nom du soleil matériel qui parcourt le ciel. Pour expliquer ce qui arrive au soleil quand il devient invisible, l’imaginaire égyptien postule que Nout l’avale tous les soirs et l’enfante tous les matins. Toujours est-il qu’il ne revient jamais sur terre. Il choisit une retraite inaccessible sur le corps de Nout, la voûte céleste. Le ciel étant bleu – à l’instar des espaces aquatiques –, l’idée s’impose aux Anciens Egyptiens qu’il effectue son parcours dans « l’océan du ciel » au moyen d’une barque, d’où l’image récurrente de la barque solaire voyageant sur le corps de Nout. Atoum est également lié au rite de la royauté et, à ce titre, porte la double couronne puisque pharaon règne sur les Deux Terres : la Basse-Egypte (le Nord), symbolisée par la couronne rouge et la Haute-Egypte (le Sud), symbolisée par la couronne blanche. (Couvercle de cercueil de Khonsoutefnakht alias Ânkhpayefhéry (26e dynastie, v. 672-525 av. J.-C.) – Image de la barque solaire transportant Rê-Horakhty (le soleil de midi), hiéracocéphale. Le dieu est représenté avec des chairs noires symbolisant sa divinité.)
Non seulement les mythes expliquent des choses, mais encore légitiment des comportements. Ainsi, Seth – le meurtrier d’Osiris, l’opposant nécessaire – est le garant du lever du soleil puisqu’il détruit le serpent Apophis – l’élément chaotique, le mal absolu – qui essaie d’empêcher le soleil de renaître tous les matins. Autre intervenant : le chat d’Héliopolis – antique manifestation du soleil. C’est l’enfant Rê, qui apparaît occupé à tuer le serpent Apophis. Là encore, il s’agit d’une observation de la nature car un chat sort souvent vainqueur d’un combat avec un serpent puisqu’il gratte la peau de celui-ci jusqu’à le rendre exsangue. Le chat solaire est figuré avec un couteau.
Rê est la forme principale du soleil, quand il commence à gouverner et qu’il a créé. C’est le souverain qui prend possession de la création une fois celle-ci achevée. Et c’est ainsi que pharaon est identifié au dieu Rê dans l’au-delà. Rê est représenté comme un homme à tête de faucon ou à tête de bélier, un disque solaire ou anthropomorphe. Mais Rê est une divinité multiforme : il est Khépri, le soleil du matin qui peut prendre l’aspect d’un scarabée car il semble sortir de terre à l’image de ce coléoptère poussant sa bouse ou d’un homme à tête de scarabée ; il est Rê-Horakhty, le soleil de midi, adulte, le maître du ciel, doté d’une tête de faucon et coiffé d’un disque solaire entouré d’un uraeus ; il est Rê-Atoum, le soleil du soir figuré comme un homme coiffé de la couronne blanche et doté d’une barbe postiche recourbée. Osiris est le soleil de la nuit. Ainsi, Atoum à tête de bélier, c’est Osiris qui se repose dans Rê et Rê qui se repose dans Osiris. Aton est le disque solaire complété par un uraeus ; en sortent des rayons terminés par des mains tenant parfois le signe de vie (ankh). Aton symbolise l’énergie de la lumière.
L’apparition du terme Aton pour désigner le disque remonte au règne de Thoutmosis Ier (troisième pharaon de la 18e dynastie). L’Egypte est en train de devenir une superpuissance. Elle en est redevable au dieu Amon (le caché) – jusque-là divinité locale de Thèbes et devenu prépondérant dans toutes les régions – et à son antithèse (bien visible) : l’astre solaire. Ainsi, Amon absorbe les attributs de Rê pour devenir Amon-Rê. Ce rapprochement d’Amon et de Rê marque la « solarisation » de la religion égyptienne. C’est désormais la « manifestation » de l’astre. Or, le soleil est un disque. Aton est donc une forme du dieu-soleil mais qui devient de plus en plus « dématérialisée ». Selon le concept de l’atonisme, c’est la course du soleil qui crée perpétuellement. Ainsi, au début du règne d’Akhenaton (dixième pharaon de la 18e dynastie), on observe encore une représentation anthropomorphe du parcours diurne et nocturne du soleil ; ensuite, il y a passage du dieu anthropomorphe à tête de faucon (Rê-Horakhty) au disque solaire (Aton). Akhenaton disparaît en l’an 17 de son règne. Sa fille ainée Merytaton (déjà associée aux rites après la mort de la Grande Epouse royale Néfertiti) occupe le trône pendant trois ans. Elle initie le retour à l’orthodoxie et au culte d’Amon. Ainsi disparaît « l’hérésie » d’Akhenaton. (Stèle (18e dynastie, v. 1345 av. J.-C.) figurant une scène intimiste où Akhenaton, Néfertiti et trois de leurs filles apparaissent protégés par le disque solaire Aton dont les rayons sont prolongés par de petites mains portant le signe ankh.)