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L'art de très près

L'art de très près

Chefs-d'oeuvre sous la loupe


Exvotos de soldats aux casques cornus, modèles de nuraghes, bateaux associés à des animaux – Les petits bronzes de production nuragique sont-ils le reflet d’une époque héroïque ?

Publié par Patricia Schepers sur 28 Janvier 2022, 18:13pm

L’épopée « héroïque » des Shardana a-t-elle trouvé un écho dans les exvotos de soldats aux casques cornus et les modèles de bateaux à mât avec protomés zoomorphes qui circulent à partir du IXe siècle av. J.-C. ? Selon les sources égyptiennes, les Shardana étaient des mercenaires et des pirates qui, durant deux siècles et jusqu’environ 1200 av. J.-C., exercèrent leurs activités en Méditerranée orientale. Identifiés aux Sardes, l’ont-ils toujours été ou le sont-ils devenus dans la tourmente de la fin de l’âge du Bronze ?

Retrouvés en contexte funéraire ou sacré (voire dans des dépôts[1]), les petits bronzes de production nuragique sont représentatifs d’une société hiérarchisée typique de l’âge du Bronze où les figures féminines dites « stéatopyges » disparaissent au profit de l’image du chef de guerre et de sa panoplie de symboles : soleil, chars, bateaux, oiseaux, chevaux, motifs curvilignes et rayonnants [ci-contre : « Char aux oiseaux », Naturhistorisches Museum, Vienne (provenance : Bosnie Herzégovine, Civilisation de Hallstatt, Ier âge du Fer)]. Ils sont mentionnés pour la première fois en 1764 par Winckelmann dans son Histoire de l’Art chez les Anciens. L’archéologue allemand observe notamment une similitude entre les casques des Shardana figurés sur le temple de Ramsès III à Médinet-Habou et les exvotos de soldats aux casques cornus et boucliers ronds trouvés dans des tombes étrusques. Pourtant, à y regarder de plus près, il apparaît peu vraisemblable qu’un casque orné de cornes aussi hautes ait été porté au combat – un tel couvre-chef étant plutôt lié à des rites religieux – d’où les exvotos représenteraient potentiellement des guerriers héroïsés, voire divinisés[2]. Toujours est-il que c’est le début d’une polémique et de quelques amalgames.

 

[1] Deux dépôts de petits bronzes ont été mis au jour à Teti (province du Nuoro), l’un dans un ciste en pierre et l’autre (de 100 kg) dans un récipient en terre cuite.

[2] À noter la similitude avec une figurine de bronze (Seeland) représentant un guerrier ou un dieu agenouillé au casque orné de cornes daté v. 1250 av. J.-C.

Pour les uns, la ressemblance entre l’armement (épée et casque) des Shardana tel qu’il apparaît dans les sources iconographiques égyptiennes et celui représenté par les bronzes nuragiques [ci-contre : Guerrier, Museo Acheologico Nazionale, Cagliari] suggère qu’ils proviennent de Sardaigne, d’où l’identification des Shardana aux Sardes. Pour les autres, les Shardana sont issus du monde égéen ou d’Anatolie occidentale et ils se sont établis en Sardaigne après leur défaite par les armées de Ramsès III en 1182 av. J.-C. ; c’est alors qu’ils ont donné leur nom à l’île. Sur ce dernier point, les données archéologiques ne permettent pas de trancher. Datée entre 850 et 725 av. J.-C., la stèle de Nora est le document écrit le plus ancien de Sardaigne et, même si sa traduction du phénicien est controversée, elle est aujourd’hui largement considérée comme la plus ancienne mention connue de la Sardaigne. Cependant, il n’est pas possible d’établir si ce nom était déjà d’usage à l’époque pour identifier l’île. Une autre origine du nom viendrait d’un héros mythologique appelé Sardus, prétendu fils d’Hercule ou de Mercure selon les sources et vénéré sous le nom de Sardus Pater. D’après Salluste, il aurait quitté la Libye avec ses partisans pour établir une colonie au sud de la Sardaigne. Selon Pausanias, l’île aurait changé son nom d’Ichnusa en Sardinna en son honneur.

La datation des bronzes (qui circulent à partir du IXe siècle av. J.-C. et sont peut-être nés d’une influence proche-orientale) n’est pas connue avec précision et les différences stylistiques sont suffisamment marquées pour justifier des datations différentes. En revanche, entre les statues lithiques des Monts Prama (datées entre le Xe et le VIIIe siècle av. J.-C.) et la petite statuaire en bronze figurant des archers, des hoplites, des pugilistes..., il y a une parenté stylistique évidente (gestuelle, forme du bouclier, mèches torsadées…) – faut-il y voir une contemporanéité ?

Ci-contre : Statue lithique, Museo Acheologico Nazionale, Cagliari (provenance : Monts Prama, Cabras).

Les Shardana apparaissent dans les documents égyptiens tantôt comme des ennemis/des envahisseurs, tantôt comme des troupes d’élite. On les rencontre pour la première fois dans les archives de tell el-Amarna. Ils sont cités plusieurs fois sous le règne de Ramsès II (comme des mercenaires enrôlés dans l’armée égyptienne, en particulier dans les campagnes contre les Hittites). Ensuite, ils sont encore mentionnés sous Merneptah (comme des rebelles à l’instigation du prince de Libye aux côtés des Tursha et des Shekelesh), sous Ramsès III (parmi les « Peuples de la Mer », alliés des Peleshet[1]), sous Ramsès VI, sous Ramsès IX, dans le papyrus Wilbur daté de la fin de la période ramesside (comme étant établis en Moyenne Egypte) et sous Osorkon II. En revanche, les sources hittites (en cunéiformes) et mycéniennes (en linéaire B) n’en disent rien. Sans doute les Shardana ne gravitent-ils pas dans leur zone d’influence. Proviennent-ils de Sardaigne pour autant ? S’ils se livrent à la piraterie pendant deux siècles, la présence nuragique ne semble en tout cas pas être attestée en dehors de l’île. En revanche, s’ils sont issus du monde égéen ou d’Anatolie occidentale, qu’est-ce qui a pu les inciter à aller s’établir en Sardaigne ? Le fait est qu’entre 1225 et 1175 av. J.-C., une série de tremblements de terre se produit en Grèce, Egée et Méditerranée orientale. Entre 1250 et 1197 av. J.-C., le climat y devient plus aride en raison d’une hausse des températures suivie d’un refroidissement brutal. Cela ferait donc des Shardana des réfugiés climatiques. Mais le climat n’est pas seul en cause puisque c’est tout le système qui bascule. Avec la chute de l’empire hittite v. 1175 av. J.-C. et, plus encore, à partir de 1150 av. J.-C. avec l’affluence des Doriens, des migrations massives se produisent de et vers l’Anatolie occidentale auxquelles ont pu prendre part les Shardana. Quant aux Etrusques, leur origine faisait déjà débat chez les auteurs antiques[2] et fait toujours débat aujourd’hui – soit orientale (venus d’Asie mineure par la mer à une époque postérieure à la guerre de Troie), soit nordique (venus d’Europe du nord par les Alpes à partir de 2000 av. J.-C.), soit autochtone (à partir de la civilisation villanovienne au cours de la période allant de 1800 à 1000 av. J.-C.) – cette dernière thèse étant la plus accréditée car il n’existe aucune interruption historique, les Villanoviens seraient donc devenus les Etrusques. La découverte de petits bronzes de production nuragique (Tombe des Petits Bronzes sardes) dans la nécropole de Cavalupo (Vulci) datée du IXe siècle av. J.-C. témoigne d’interactions avec les Villanoviens.

Ci-dessus : Prêtre militaire, Museo Archeologico di Villa Giulia, Rome (provenance : Vulci « Tombe des Petits Bronzes sardes).

 

[1] Identifiés aux Philistins qui sont des Egéens et peut-être des Indo-européens. À noter que les rédacteurs de la Bible connaissaient déjà l’origine égéenne des Philistins. Ils savaient également qu’ils formaient un peuple non sémite et les qualifiaient volontiers d’incirconcis.

[2] Alors que pour Denys d’Halicarnasse, les Etrusques sont un vieux peuple italique, ils proviendraient d’Europe centrale d’après Tite-Live et seraient d’origine lydienne selon Hérodote. Dans sa Vie de Romulus, Plutarque en fait les colons des Sardes.

Des modèles de nuraghes ont également été mis au jour dans des tombes étrusques. C’est précisément le nuraghe – sorte de bastion/de castrum datant du Bronze moyen et dont la fonction exacte reste incertaine : demeure pour le chef, refuge pour le clan (à l’image du château-fort médiéval), zone de stockage (attesté par la présence de silos), centre de production (étayé par la présence de fonderies) …  – qui donne son nom à la culture nuragique et en est même le symbole identitaire.  On peut postuler qu’il résulte de l’effort collectif du clan et on en a mis au jour plus de 20000. Pourtant, entre la fin de l’âge du Bronze et le début de l’âge du Fer, il perd petit à petit sa fonction initiale pour en acquérir de nouvelles [à l’exemple de Su Mullinu, bastion trilobé datant du XIVe siècle av. J.-C. auquel a été ajouté dans sa partie basse, au IXe siècle avant J.-C., un sanctuaire abritant un autel en forme de nuraghe orné d’un croissant de lune, symbole de la déesse-mère].

Ci-contre : Modèle de nuraghe en calcaire, Museo Acheologico Nazionale, Cagliari (provenance : Monts Prama, Cabras).

Si la figure du guerrier est la plus représentée parmi les bronzes votifs nuragiques, la production fait également la part belle aux bateaux associés à des animaux, en particulier des bateaux à mât [à noter le parallèle avec les bateaux mycéniens] avec protomé de bovidé ou de cervidé à la proue [à noter le parallèle avec les bateaux phéniciens]. Le bateau étant un symbole solaire, on a là une référence à la représentation du cycle solaire [à l’instar du motif récurrent de la « barque solaire aux oiseaux » (les oiseaux d’eau – souvent des canards – étant liés à la partie nocturne de la course solaire) ou des « rasoirs » évoquant un bateau à proue] qui symbolise le passage vers l’Au-delà. C’est le thème du transport éternel du soleil dans une barque de jour et de nuit, faisant allusion au mouvement éternel du soleil (lever/coucher), à la traversée de l’horizon par l’astre solaire.

Ci-dessus : Bateau avec protomé de bovidé, Museo Acheologico Nazionale, Cagliari (provenance : Orroli).

On retrouve la même thématique dans le « Char solaire de Trundholm », Nationalmuseet, Copenhague (v. 1350-1300 av. J.-C.) avec protomé de cheval (le cheval étant lié à la partie diurne de la course solaire). Les figures de proue des bateaux des « Peuples de la Mer » représentés sur les murs du temple de Médinet-Habou sont des canards. Mais qu’en est-il de la symbolique du taureau et du cerf ?

Le taureau symbolise la force mâle et est donc associé systématiquement avec l’élément masculin. Il exprime la puissance/la fertilité. En raison de la forme de ses cornes, le taureau est souvent lunaire. Ainsi, Apis est choisi en fonction d’une tache blanche cornue comme la lune, Osiris est associé à la lune et au taureau, Shiva porte le croissant lunaire sur sa tête et est toujours accompagné du taureau Nandin (animal attribut). Valeur lunaire aussi en Lydie dont les monnaies associent taureau et lune, au Luristan, en Elam, dans l’Avesta. Mais le taureau est aussi solaire. Ainsi, le cœur du Taureau céleste tué par Enkidu est consacré au dieu Soleil dans l’Epopée de Gilgamesh. En Iran, la semence du taureau primordial est transférée au Soleil après sa mort. En Grèce, Apollon et Hélios, le Soleil, disposent de troupeaux sacrés composés de bovins. À épingler des taureaux ornés de rosette, d’étoile, de boule, de cercle, d’hélice, de rosace ou encore de croix en Egypte, au Proche-Orient, en Elam, en Anatolie, à Chypre, à Mycènes, en Ibérie, chez les Celtes, les Scythes et les Germains. De nature céleste, le taureau (dont le mugissement et/ou le coup de sabot évoquent l’orage) exprime aussi la force et c’est pourquoi il est associé à des dieux puissants ou guerriers comme les dieux de l’Orage ou du Ciel : Teshub (dieu de l’Orage/dieu de la Guerre hittite d’origine hourrite) équivalent de Datta (chez les Louvites) ou encore de Tarhund ou Tahunda-du-ciel (dans la sphère néo-hittite) ; Baal (dieu de l’Orage/dieu-fils de la triade cananéenne), Adad (dieu du Ciel mésopotamien) équivalent du Hadad des Sémites occidentaux. Dans l’Egypte pharaonique, le taureau est l’incarnation de Montou (dieu guerrier), de Min (grand procréateur), d’Amon-Rê (force génératrice/créatrice) fusionné avec Atoum (créateur initial de l’univers), de Ptah (pouvoir intellectuel fondement de la création) et d’Osiris (symbole de renaissance). En Grèce[1], Zeus, maître des météores (tonnerre, orage, foudre) sous le ciel diurne et répandant la fécondité mais aussi des calamités, se métamorphose en taureau pour enlever Europe. Aspect chtonien également chez le taureau qui s’exprime par des images de taureau ou de bucrane sur les tombes (Europe centrale néolithique, Crète depuis le Minoen ancien, Anatolie de l’âge du Bronze, Luristan, Sardaigne, Bretagne, Europe orientale de l’âge du Fer). Une autre symbolique est l’aspect protecteur : taureau gardien du foyer/gardien de porte. à Chypre, des protomés de taureau (à caractère protecteur ou apotropaïque ?) sont attestés dès le IIIe millénaire av. J.-C., évoquant des rites liés à la fertilité. à partir du Bronze Récent, on assiste même à une prolifération de l’iconographie du taureau associé à des objets religieux dont certains, comme des statuettes de dieu cornu avec des attributs de taureau, trahissent une influence égéenne ou proche-orientale. Par extension, le taureau est le gardien de l’Au-delà. Ainsi, la bouche des Enfers est protégée par des taureaux. De même, le taureau androcéphale est une figure liée aux Enfers puisqu’en tant que gardien du passage entre les mondes il symbolise le cheminement vers l’Au-delà. On est dans une dimension de renaissance/régénérescence. Autre signe distinctif emprunté au taureau : la tiare à cornes[2], qui est l’emblème des dieux et des rois divinisés – le défunt royal pouvant notamment se métamorphoser en taureau.

Ci-dessus : Relief votif en terre cuite, Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles (règne de Naram-Sin 2255-2219 av. J.-C.).

 

[1] À épingler un proto-Zeus (chez les Mycéniens), un Zeus archaïque brandissant le foudre (Chypre) qui ne sont pas sans rappeler Baal au foudre d’Ougarit,

[2] L’espace que les cornes (considérées comme le siège de la puissance divine du taureau) définissent sur la tête de l’animal caractérise un périmètre sacré, d’où la tiare à cornes symbolisant la divinité ou la divinisation.

Le cerf incarne la force, la virilité, la fécondité et la puissance masculine. Ainsi, Cernunnos, dieu de la Fertilité et de l’Abondance (chez les Celtes/Gaulois), est représenté avec des bois de cerf sur la tête. La plus ancienne représentation connue de lui est une sculpture rupestre du Ve siècle av. J.-C. dans le nord de l’Italie où le dieu-cerf apparaît en compagnie d’un serpent à tête de bélier et d’un petit personnage en érection. Lié à la nature et aux animaux, il est souvent représenté avec des animaux, parfois avec un taureau [comme sur le « Chaudron d’argent de Gundestrup »[1], Nationalmuseet, Copenhague (IIe-Ier siècle av. J.-C) où il figure assis en tailleur, entouré d’animaux, portant un torque autour du cou et en brandissant un autre dans sa main droite tandis que sa main gauche tient un serpent à tête de bélier]. Il est également en relation avec le Monde Souterrain, intermédiaire entre le monde des vivants et celui des morts. Aspect chtonien donc chez le cerf – animal psychopompe – qui est également symbole de renaissance/régénération en raison de ses bois qui repoussent. Le cerf est solaire, mais animal de nuit, il est associé à la partie nocturne de la course solaire. Il est aussi médiateur entre le ciel et la terre. Enfin, il est animal attribut. Ainsi, Sarruma, le jeune taureau, dieu-fils de la triade hourrite/hittite a pour animal attribut un cerf.

 

[1] Découvert dans une tourbière du Jutland (Danemark) mais dans la tradition des orfèvres thraces et incluant des éléments celtes (tels que le casque et le carnyx), il proviendrait vraisemblablement du sud-ouest de la Roumanie ou du nord-ouest de la Bulgarie, là où se jouxtaient les territoires des Thraces et des Celtes.

C’est à çatal Hoyük (Anatolie du Néolithique) qu’apparaît pour la première fois la paire taureau/cerf – et qui plus est dans une peinture monumentale. La scène (double) figure d’un côté un auroch, de l’autre un cerf, chacun entouré de petits personnages vêtus de peaux de panthère paraissant effectuer une danse[1]. Les animaux sont surdimensionnés par rapport aux humains. À l’évidence, on est dans une relation de domination, mais la question est de savoir qui domine qui, l’homme ayant cessé de se considérer comme un simple élément de la nature pour en quelque sorte « prendre possession » de celle-ci. Il ne s’agit donc pas d’une chasse mise en scène, même si les banquettes hérissées de bucranes et les têtes surmodelées trouvées dans les édifices décorés[2] de çatal Hoyük évoquent des trophées de chasse. L’hypothèse la plus souvent acceptée est qu’il s’agit d’une scène de capture/de maîtrise de l’animal (auroch ou grand cervidé) vivant suivie d’une mise à mort – soit préfiguration de la tauromachie (l’animal n’étant pas offert aux divinités), soit sacrifice (l’animal étant amené sur le lieu du sacrifice selon le rituel prescrit). De fait, la tauromachie va se répandre dans tout le bassin oriental de la Méditerranée dès le IIIe millénaire av. J.-C. La paire taureau/cerf se retrouve sur des étendards[3] provenant de tombes d’Oyma Ağaç  et surtout d’Alaca Hoyük (Anatolie du Bronze ancien) qui ont également livré des disques solaires et des étendards liés au culte de la déesse-soleil d’Arinna (qui restera prépondérante tout au long de l’âge du Bronze), ou arborant des symboles astraux, tels que des motifs liés au soleil et aux sept planètes connues. On considère généralement que les cultes du taureau et du cerf – qui ne cesseront de se répandre par la suite – tirent leur origine de cette période du Bronze ancien. Il semble également établi que les statuettes de cerf et le taureau représentent des divinités.

Ci-dessus : Disque céleste de Nebra (copie), Naturhistorisches Museum, Vienne (Bronze moyen, v. 1600 av. J.-C.).

 

[1] à noter le parallèle avec la fresque du taureau et de l’acrobate du palais de Cnossos (datée v. 1450 av. J.-C.) représentant des acrobates sautant par-dessus des taureaux bondissants.

[2] James Mellaart (qui a fouillé le site entre 1961 et 1965) a émis l’hypothèse de sanctuaires dédiés au taureau. Au Proche-Orient, certains rites d’un culte du couple divin primordial ont été mis en évidence – à tort ou à raison – dès le début du Néolithique. D’une part, le culte du dieu-Taureau, maître de la foudre, de l’orage, dispensateur de la pluie fertilisante, représentant le principe masculin. D’autre part, celui de la Grande-déesse ou déesse-Mère, représentant le principe féminin. Ce panthéon, déesse-Mère, seule ou avec le taureau, son égal ou son parèdre, évoluera vers un panthéon en triade, chacun avec son animal attribut – félin pour les déesses liées à la fertilité, taureau pour le dieu de l’Orage, cerf pour le dieu-fils. D’après Hodder (1999), des lieux cultuels néolithiques semblables à çatal Hoyük se retrouvent tant en Europe centrale (sanctuaire de Parta en Roumanie occidentale) que dans les régions égéennes (sanctuaire au taureau de Dikili Tash en Macédoine orientale). À noter que le panthéon en triade est commun à tous les Indo-européens.

[3] Par exemple : étendard avec la paire taureau/cerf placés dans un cercle torsadé ; étendard en bronze et argent orné de figures de taureau (dont le corps est constellé de cercles concentriques) et de cerf ; étendard figurant un grand cerf (prééminence ?) flanqué de deux petits taureaux debout sur une paire de cornes et enfermés dans une torsade. À épingler également, deux rhytons zoomorphes en argent représentant un taureau et un cerf, d’origine inconnue mais dans la tradition de Kültepe et d’Alaca Hoyük, le cerf portant un collier.

Il ressort d’une étude génétique publiée en 2020[1] que les individus de la culture nuragique sont issus d'un mélange entre les chasseurs-cueilleurs de l'ouest et les fermiers d'Anatolie qui ont apporté le Néolithique[2] en Europe[3]. Les résultats de l’étude donnent des indications depuis le Néolithique moyen. Ainsi, les individus les plus anciens de l’échantillon montrent une proximité génétique avec les populations néolithiques de la Méditerranée occidentale. Il s’ensuit une longue période d’isolement relatif sans traces de mélange pendant la période nuragique (IIe millénaire av. J.-C.) après quoi on observe des traces de mélange avec des sources provenant du nord et de l’est de la Méditerranée.

 

[1] Marcus, J. H., Posth, C., Ringbauer, H., Lai, L., Skeates, R., Sidore, C., Beckett, J., Furtwängler, A., Olivieri, A., Chiang, C., Al-Asadi, H., Dey, K., Joseph, T. A., Liu, C. C., Der Sarkissian, C., Radzevičiūtė, R., Michel, M., Gradoli, M. G., Marongiu, P., Rubino, S., … Novembre, J. (2020). Genetic history from the Middle Neolithic to present on the Mediterranean island of Sardinia. Nature communications, 11(1), 939. https://doi.org/10.1038/s41467-020-14523-6

[2] La « révolution » du Néolithique précéramique (PPNA & PPNB) – à savoir l’apparition de l’agriculture céréalière (blé, orge) et de l’élevage (chèvres, moutons) – a débuté dans le Levant vers 9500/9250 av. J.-C. et s’est ensuite étendue à l’Anatolie (fin du VIIIe/début du VIIe millénaire), à l’Egypte et à la Mésopotamie.

[3] On distingue un courant danubien et un courant méditerranéen.

L’abandon progressif de la prédation en Europe dès le milieu du VIIe millénaire av. J.-C. au profit d’une économie de production s’accompagne rapidement d’autres progrès techniques. Ainsi, dès 5000 av. J.-C., des objets en or et en cuivre sont produits par martelage dans les Balkans. Sur le rivage bulgare, des tombes datées v. 4500 av. J.-C. livrent des objets témoignant d’un haut degré de maîtrise de la métallurgie. L’Anatolie du nord-ouest est elle-même influencée au Chalcolithique par les cultures qui se développent dans les Balkans (on parle d’ailleurs de civilisation balkano-anatolienne) et dans les îles égéennes[1]. La transition entre le Chalcolithique supérieur et l’âge du Bronze ancien s’effectue sans interruption en Anatolie et voit le développement du commerce et le perfectionnement de la métallurgie. L’interaction culturelle entre l’Anatolie et les Balkans s’interrompt toutefois au cours du IIIe millénaire av. J.‑C.

Ci-dessus : Disque en or, Naturhistorisches Museum, Vienne (provenance : Autriche, Néolithique tardif, v. 4000 av. J.-C.).

 

[1] À épingler dès le début du IIIe millénaire av. J.-C. des statuettes féminines stylisées rappelant les idoles cycladiques (Alaca Höyük, Karaoglan, Etiyokusu, Kalinkaya, Beycesultan, Kültepe).

Le sarde est une langue appartenant à la branche romane (c.-à-d. issue du latin) méridionale de la famille des langues indo-européennes. Il en résulte qu’au IIe millénaire av. J.-C., les individus de la culture nuragique ne sont pas des Indo-européens. Ils le deviendront de facto après la conquête romaine. Sur base de correspondances entre les langues indo-européennes, l’hypothèse a pu être établie d’une protolangue indo-européenne (PIE) et de sa diffusion à l’époque préhistorique. Cependant, la question de l’origine des Indo-Européens est loin d’être tranchée puisque, tant la piste de la migration anatolienne (Renfrew) que celle de la conquête steppique (Mallory et Kristiansen[1]), présentent des failles. Du reste, l’existence d’une civilisation indo-européenne n’est pas étayée par l’archéologie. Néanmoins, il existe (Sergent[2]) des affinités entre les langues anatoliennes (hittite, palaïte, louvite) et d’autres langues indo-européennes (celtiques, germaniques et surtout italiques), ce qui implique que les Proto-Anatoliens ont voisiné longtemps (en tant qu’alliés, sujets ou maîtres) avec des tribus indo-européennes occidentales alors installées en Europe centrale avant que celles-ci essaiment vers l’ouest (Celtes) et le sud (Italiques). Néanmoins le caractère archaïque des langues anatoliennes dans le groupe des langues indo-européennes induit qu’elles se sont détachées assez tôt du tronc commun. Une hypothèse ancienne (quoiqu’encore largement partagée) fait au contraire pénétrer les Hittites en Anatolie par le Caucase en provenance du Nord ou du Nord-Est. Ce qui est établi, en tout cas, c’est qu’ils entrent en scène pendant la période des colonies marchandes assyriennes (1950-1750 av. J.-C.) et qu’ils vont conquérir l’Anatolie centrale (ancien royaume du Hatti). Une migration des Hittites vers l’Anatolie depuis les Balkans (à l’instar des Phrygiens, des Thraces, des Arméniens et des Galates ultérieurement) n’est pas incompatible avec le modèle des steppes qui propose une dispersion du proto-indo-européen à partir du IVe millénaire av. J.-C.

 

[1] James MallorY « L’hypothèse des steppes » ; Kristian KRISTIANSEN « La diffusion préhistorique des langues indo-européennes, un modèle archéologique » ; Colin Renfrew « Le problème indo-européen et l’hypothèse anatolienne » dans : Dossiers d’Archéologie n° 338 / mars-avril 2010, p. 28-53

[2] Bernard SERGENT « Les Hittites et la diaspora indo-européenne » dans : Dossiers d’Archéologie n° 193 / mai 1994, p. 12-19

Au IIe millénaire av. J.-C., la société nuragique est une société clanique avec des chefferies. Elle est sans doute très hiérarchisée car l’inégalité s’affiche partout. Les sociétés de l’âge du Bronze sont loin de vivre en autarcie et, nonobstant des cultures très diverses, tissent entre elles des liens commerciaux et politiques. On assiste à l’essor d’une économie longue distance et à l’émergence de chefs de guerre qui contrôlent à la fois le commerce et les matières premières. Or, l’île dispose de richesses minières (cuivre et étain) particulièrement convoitées.

Ci-contre : Chef de tribu, Museo Acheologico Nazionale, Cagliari (provenance : Serri).

L’architecture religieuse (liée au culte des ancêtres ou d’esprits protecteurs) est représentée par des puits difficilement datables avec précision et des monuments construits sur des sources sacrées qui évoquent par leur forme la grotte/le « mundus ». Les points d’eau sont par essence des lieux de culte et d’offrandes, mais la grotte est hautement symbolique. À la fois « matrice » d’action régénératrice et ouverture vers le monde souterrain (les Enfers) voire vers l’Au-delà, elle a une connotation tant funéraire (espace consacré aux morts) que rituelle (lieu propice aux offrandes). Quant à l’eau douce, on peut lui attribuer un rôle purificateur marquant le passage vers un Autre Monde (celui des morts) ou un autre état (ordalie/justice divine) [ci-contre : Puits sacré « Su Tempiesu » (période nuragique XIe-IXe siècle av. J.-C.)]. Ces monuments ne sont pas sans évoquer des sites rupestres anatoliens associés à des points d’eau, tels que Gavur Kalesi[1] ou Eflatun Pinar[2], même si la référence à un panthéon n’est pas présente en Sardaigne au IIe millénaire av. J.-C. Moins nombreux que les puits et les sources sacrées, ce sont les « temples en mégaron » caractérisés par un toit en double pente et se composant d’une seule pièce avec foyer central. C’est là que se réunissent les assemblées. Enfin, il y a l’architecture tombale qui est en forme de tête de taureau.

 

[1] Trois reliefs rupestres où apparaissent les dieux Teshub et Sarruma (debout) tournés vers la déesse Kubaba (assise). Les deux parois sont séparées à angle droit avec une faille dans laquelle coule de l’eau – à noter la présence d’une rivière d’eau douce à proximité. Au dos des reliefs rupestres, une chambre est aménagée dans la roche en encorbellement.

[2] Monument couvert de reliefs construit sur une source d’eau douce. Au centre, Kubaba et Teshub (assis, de face) sont surmontés de deux grands disques solaires ailés. Sur les côtés et en dessous, des personnages aux bras levés soutiennent des disques solaires ailés. Dans le bassin (vidé de son eau) apparaît un autre relief représentant cinq dieux montagnes soutenant le registre supérieur.

Lesdites « tombes de géants » [ci-contre : Tombe des géants de sa Ena 'e Thomes à Dorgali] sont en fait des sépultures collectives secondaires dont la partie frontale forme une sorte de demi-cercle évoquant les cornes d’un taureau. Elles succèdent aux tombes hypogées creusées dans la roche selon un axe divisé en espaces jusqu’à une fausse porte (communication avec l’Au-delà ?) au fond de la tombe. Si les nuraghes et les tombes de géants n’ont pas d’équivalent ailleurs à l’âge du Bronze[1], la signature égéenne est bien présente en ce qui concerne le mégaron. Elle s’explique sans doute par une présence mycénienne attestée dès le début du XIVe siècle et philistine vers 1200 av. J.C. À partir du Bronze final, il n’y a plus de construction de nuraghes ni de tombes de géants (rupture dans les pratiques funéraires ?). Certains puits sacrés sont abandonnés alors que d’autres resteront en usage à l’âge du Fer. On assiste à une transformation de la société nuragique sans que celle-ci soit imputable à des guerres entre clans. Il n’y a pas davantage de traces d’invasions ou de destructions. Ainsi, si les Shardana ont « conquis » l’île, ils l’ont fait sans violence et se sont mélangés aux populations autochtones, à l’instar des Philistins lorsqu’ils se sont fixés le long du littoral méridional du pays de Canaan. Entre la fin de l’âge du Bronze et pendant l’âge du Fer, la présence nuragique est attestée en Ibérie (Gadès/Cadix, Huelva, Camas/El Carambolo), aux Baléares, en Etrurie, dans les îles Lipari, en Sicile (Agrigento), en Crète, en Israël (El-Awat) – ce qui met à mal l’hypothèse d’une destruction de cette civilisation par un cataclysme[2] (Frau) mais n’est pas incompatible avec les déplacements en Méditerranée d’un ancien « Peuple de la Mer ». Du reste, d’après Strabon, les Sardes préféraient aller piller les côtes toscanes, en particulier dans la région de Pise, plutôt que de se transformer en cultivateurs (réminiscence du passé mouvementé des Shardana ?).

En conclusion, l’ancrage méditerranéen domine pour la civilisation nuragique du IIe millénaire av. J.-C. – c’est l’âge d’or des nuraghes. À partir du XIVe siècle av. J.-C., des influences égéennes se manifestent dues à la présence mycénienne puis philistine. Ensuite, une certaine continuité s’installe à compter du Bronze final jusqu’à la domination punique ; mais force est de constater que des transformations se produisent dans la société nuragique qui sont peut-être l’indice d’un apport extérieur. Avec l’établissement de colonies phéniciennes au VIIIe siècle av. J.-C., l’influence proche-orientale devient de plus en plus marquée.

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Bibliographie

E. Anati, L’odyssée des premiers hommes en Europe, Librairie Arthème Fayard, 2007, pour la traduction française, p. 290-291

E.H. ClinE., 1177 avant J.-C. Le jour où la civilisation s’est effondrée, Editions La Découverte, Paris, 2015, pour la traduction française, p. 178-184

C. Desroches Noblecourt, Ramsès II. La véritable histoire, Editions Pygmalion/Gérard Watelet, Paris, 1996, p. 101, 138, 142-143, 152, 159, 263-264, 395

I. Finkelstein et N. Asher Silberman, La Bible dévoilée, Bayard Editions, Paris, 2002, pour la traduction française, p. 107-109

J.-L. Le Quellec et B. Sergent, Dictionnaire critique de mythologie, CNRS Editions, Paris, 2017, p. 1246-1249


[1] Emmanuel Anati voit cependant un dénominateur commun entre les temples de Malte, les structures des tours, des castrums, et des nuraghes de la Sardaigne, de la Corse, des Baléares et du littoral méditerranéen – chaque culture l’ayant développé à sa façon et à des périodes distinctes.

[2] Une transgression marine est attestée vers 1200 av. J.-C. Ainsi, au moment de sa fondation au VIIIe siècle av. J.-C. par les Phéniciens à proximité d’un site nuragique (Su Murru Mannu), Tharros (aujourd’hui reliée à la terre) est une île.

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